J’en étais rendu que je l’aimais… comme si c’était ma vraie mère. J’avais pour elle mieux que de l’affection. Elle était devenue en ce temps de La petite patrie télévisée (1974-1976) comme une deuxième mère. Elle est morte. 82 ans. Déjà ? D’abord dire que je voyais plutôt une Juliette Huot pour personnifier ma mère à la télé, dans cette autobiographie de mon l’adolescence. « La petite patrie » était un feuilleton non-conventionnel, à portraits variés, de ma famille, du quartier Villeray dans les année 1940 et obtiendra un immense succès populaire. Personne dans l’équipe n’avait pu prévoir ça; ce fut à cause de cette mamma-Schmidt ! 80 fois, 80 épisodes, où elle fut la tête de proue. De son joli refuge-village en Charlevoix, elle vient de nous quitter. À jamais et j’en ai mal
Florent Forget, mon réalisateur, m’annonçait au printemps de 1974 : « Pour jouer ton rôle, Claude, ce sera Vincent Bilodeau, pour ta mère, j’ai choisi Gisèle Schmidt ». J’étais méfiant, la victime de faux clichés : cette Gisèle, grande dame inabordable, vraie « diva », je l’avais observée, fin des année 1950, dans le hall de Radio-Canada, avec toute sa cour, dans des restaus à la mode, si belle, le verbe haut et clair, la belle Gisèle triomphait de ses amphitryons et l’hebdo « Radiomonde » la montrait, l’été, sur une plage de Bidderford pool, Maine, arrangée en « star » d’Hollywood avec son célèbre amant, le fascinant et surdoué François Rozet, ex-sociétaire de la Comédie française à Paris, émigré au Québec. Que de photos étincelantes, toute sa cour d’aficionados, on aurait cru —« parasol, mante, grand chapeau de paille, voile, verres fumés, long fume- cigarette —, à une séquence d’un film de Federico Fellini !
Ma dévouée et débordée mère … elle ? Pas possible ! Eh bien ce fut possible et Gisèle incarnera une « mère de famille de jadis » de façon inoubliable, un million et plus de gens la suivront tous les dimanches soirs, s’y attachant, la gardant dans leurs souvenirs encore aujourd’hui. Nous sommes en 2005, pas une semaine ne s’écoule sans qu’un correspondant du site claudejasmin.com ne m’interroge : « Pourquoi Radio-Canada n’offre pas au moins un boîtier de cassettes-DVD de La Petite patrie ? Je répond : je ne sais pas.
À la longue, pour « Les Bougon », on voit bien se détacher, les talents forts d’un seul trio : le « si naturel » jeune obèse, le p’tit « mon-oncle » et l’improbable fougueuse jeune putain. Ainsi, ce fut Gisèle Schmidt qui fut l’axe, fixa l’inoubliable succès de cette série, avec, aussi, la bonté de Galipeau, la beauté de Laparée, la fureur de Pasquier. Et la candide Louise Rinfret qui, à 23 ans, joua avec génie une gamine de 13 ans. Marc Labrèche, en 1980, frais émoulu de son école de théâtre, à Ste-Thérèse (comme Bilodeau), incarna avec un fort talent mon autre alter-égo, celui des « Boogie-woogie », « autobio » encre pour illustrer les « camps d’été d’antan », ainsi, c’est le jeu inouï de Gisèle Schmidt qui a marqué l’imaginaire collectif d’ici. On dit « le succès est « un mystère », je dis que c’est le talent fort, celui d’une comédienne défunte insurpassable qui a frappé d’or mon feuilleton.
Je l’ai vu, semaine après semaine, cette grande « star », se transformer en authentique « mère-poule », mère angoissée par ses petits, devant les caméras mais aussi dans les coulisses, dans les salles de répétition ! C’était étonnant sa métamorphose en « môman », à la fois sévère et remplie de tendresse, veillant sur les jeunes troupiers de Forget puisque Gisèle jouait un rôLe qu’un grand amour ravageur, et qui se termina mal, ne lui avait pas permis de tenir dans sa vraie vie. Sur le balcon, un soir de tournage, flattée d’être personnifiée par cette « vedette », maman, naïve, lui déclara : « Je tiens à vous féliciter, vous m’imitez très bien. madame ! » Ô, alors, les beaux éclats de rire habituels de Gisèle !
Adieu belle actrice, adieu ma fausse mère ! Va jouer dans la « Lumière des Lumières » tous les rôles. Là où la scène y serait infinie et le temps comme aboli. Tu pourras incarner, tout Corneille et tout Racine, Lorca et Montherlant, Pirandello et Brecht. Et une des « Albertine » de Tremblay. Gisèle, je t’en prie, trouve des petits moments perdus pour reprendre ma mère morte dont je m’ennuie tant. Me voici, depuis ce fatal dimanche, comme orphelin une deuxième fois !