Ça y est. C’est fini au moment où vous me lirez. Les trois coups furent frappés et le rideau est levé. Le spectacle peut débuter. À l’affiche, « la belle saison » ! J’ai vu naître, grandir, s’installer le décor. Quelle beauté ! Quelle métamorphose ! Je regardais intensément.
Au début c’est tout petit, bien fragile, à peine visible. Des tas de petits points verts partout dans la nature. Peu à peu, il faut être attentif car cela ne dure que peu de jours, tout prend forme. On dirait que je voyais pousser, oui comme à vue d’œil, tant tout cela s’installe vite. J’observais durant des heures, heureux, les choses discrètes. Droit devant moi —mais chacun a « son » décor— il y avait à ma gauche, des bouleaux aux « pendentifs » mous, un certain vert, et derrière ces bouleaux aux grasses lignes centrales bien blanches, fermes, des érables aux toutes petites feuilles. Un autre vert. Oui, l’art du pointillisme, à la Seurat, ou les vues gaies d’un Raoul Dufy, la légèreté.
Plus loin, derrière, un saule géant avec lui aussi mille milliers de naissantes feuilles. C’est, au début, si tendre, si lumineux, si neuf. Devant moi, un sorbier, craintif on dirait, aux bourgeons pas trop pressés, à ses côtés, écran d’érables plus courageux, et, derrière, des épinettes qui forment contraste avec leurs silhouettes sombres, paravents à tous ces verts luisants, brillants, timides nouveaux-nés.
C’est beau ! C’est beau ! Ça pousse. Ça pousse davantage chaque jour de cette trop brève phase et, soudain, admirer davantage toute une verdure nouvelle. À ma droite, loin du vieux pommier, si lent lui, à s’enfeuiller, de jeunes saules, ceux du rivage. Proche de ma galerie, le gros vaste bouquet énorme de sapins classiques avec leur cruel vert dur, franc.
Au bout de quatre ou cinq jours, oui, ça y est, le décor est là, entier. Vastes fins rideaux aux neufs tricots de verts si variés. La beauté ! Loin, au dessus, l’horizon changé des collines laurentidiennes. L’autour du lac quoi, son rideau de fond. Pas du rideau léger, une tenture plus lourde.
Sous tous ces arbres qui se parent, qui se vêtent, qui se décorent, se garnissent —coquets— en robes scintillantes, il y a toujours, immuable, elle, la terre, oui, lui, le sol ! Le bon vieux tapis connu, les ordinaires pelouses, ces gazons familiers au vert pourtant bien régénéré, bien vif, vantard : « Regardez-moi, je suis l’été ! »
Par dessus tout ce théâtre naturaliste, remis à neuf à chaque mois de mai, le ciel. Trop souvent sans son Astre ces temps-ci. Mais enfin, j’ai tout vu. Jadis, en ville —ou aux champs— je ne voyais rien. Temps imbécile, des trop nombreux labeurs de l’ambitieux que j’étais. Désormais, je me le promets à moi-même, je sortirai toujours dans la lumière printanière pour regarder l’air, le vent, tisser ce décor fabuleux. Trop familier, qui est donc méprisé puisque le proverbe dit : la familiarité engendre le mépris.
Adage hélas trop vrai !