« Maman, maman, maman, Yves, ton grand gars ivre / arrive, maman, au bon moment. » C’est de la poésie de feu Germain Nouveau, le meilleur copain de Rimbaud.
Une fois, j’étais rentré tard à la maison, un dimanche et… un peu « paqueté ». J’avais dix huit ans. Ma mère (qui guettait mon retour j’en suis certain) me voyant tituber, avait dit seulement : « Si ça a du bon sens, à ton âge ! Va vite te coucher. Le collège demain ! ».
C’est cela une mère ? Je regarde justement une mère et ses fillettes dans ma chère piscine du « Excelsior ». Je vois une femme avec « des yeux tout le tour de la tête », un peu anxieuse. Quoi? Une « mère-poule » ? C’est tout bonnement une mère !
Depuis même avant l’antiquité et jusqu’à ce avril 2014, il y a eu, il y a, il y aura… ce fait têtu : une femme qui est une mère sait d’instinct qu’il faut surveiller, couver et protéger. Quoi donc ? L’avenir. Nous tous. Au juste quoi ? La vie.
Je l’observe donc sous un soleil qui éclabousse l’immense serre (et son palétuvier feuillu), elle est un « beau radar humain ». Dans l’eau bleue, salée et chlorée, allant de l’une à l’autre, avec ses beaux gestes protecteurs cette « maman » sourit, rapprochant celle qui s’éloigne trop vite ou, au contraire, éloignant la froussarde trop timorée. Que je suis ému par la sobre beauté de ce dévouement immémorial, bonté toute gratuite, obéissance automatique. À sa nature, à sa fonction viscérale.
Antipode ? Dans la Côte Morin, cette pauvresse en loques, qui pousse, les yeux exorbités, son vieux carrosse. Dedans, des petites jambes pendantes, la tuque de travers, des petites mains nues rougies, sa fillette dépenaillée. La croisant, je l’entends qui sacre, la bouche écumante. Mais oui ! Une mère inapte et il s’en trouve ici comme partout ailleurs. On a mal. On devine le « désavenir » de rejetons malchanceux. Rien à voir pourtant avec… —oui, j’avoue— avoir eu honte souvent de ma pauvre maman se vêtant d’oripeaux pour feindre « la misère noire » et m’amener la voir négocier âprement avec ses « chers » marchands juifs, rue Saint-Hubert, Wise Brothers ou Greenberg.
Aujourd’hui, j’ai honte de ma triste honte. Mais quoi, on feint de l’ignorer, les enfants ont une fierté terrible.
Cette souriante surveillante du Excelsior et cette pauvresse débordée et ma mère… que de contrastes !
Je verrai la neuve « BMW » dehors quand cette si gentille « matrone » quittera, avec ses fillettes, mon auberge de la 117. C’est tout à fait cela : riche ou pauvre, lune maman est une maman, à moins de misère grave et cette bourgeoise n’est pas moins couvante que ma « pauvre » mère.
Avec une flamboyante voiture « Porche », ou à pied, une maman reste une maman. S’inquiètera sans cesse du sort de ses petits poussins. Ma mère encore en 1949 : « Tu devais casser avec ta Michèle de la rue Vivian, de Town of Mont Royal. Tu seras malheureux, on est pas de la même classe. »; une mère craint des humiliations à venir ? Plus tôt : « Ça suffit tes balades tous les soirs au Parc Jarry avec cette dévergondée de Marion Hall, pense à mieux étudier si tu veux un avenir qui aura du bons sens ! » Oh maman ! Tout jeune, il n’y avait pas de piscine salée et chlorée, il y avait, par canicule, la grande cuvette sur la galerie d’en arrière et maman venait sans cesse examiner si mon petit frère, Raynald (trois ans), se tenait solidement au rebord ! Plus grand regret encore d’avoir eu honte de cette « marchandeuse » de culotte « breetiches » chez Greenberg.