mar 252008
 

« L’Arlésienne » est le titre d’une dramatique singulière où l’héroïne y est invisible, on en parle sans cesse mais on ne la voit jamais ! Ainsi, je vis en une certaine intimité depuis des années et des années avec une bête quasi invisible. Je l’aperçois très rarement qui file se cacher -dodue et boitillante- sous le bas balcon d’en avant. Elle s’en va ou elle s’en revient en un éclair comme une pécheresse honteuse.Étonnant comportement. Parfois envie de lui boucher ce trou unique sous le plancher dudit balcon. Pas de cruauté inutile. Qu’elle vive, « ma » bestiole à toison noire et blanche, sauvage et délicate et qui semble nous dire : « Je ne veux pas déranger. »

Notre manie, on l’a baptisée. « Marie », en l’honneur de ma camarade-à-couette, Marie Laberge. Celle  des sagas populaires. Notre « Marie » ne veut donc rien savoir de nous mais je me demande comment elle vit, de quoi ? Vagabonde-t-elle que la nuit venue ?

Il y a des années de ça, nous rentrions du cinéma Pine et l’on l’aperçut, s’enfouissant sous nos pieds, « la bête ». Nos cris sur le perron, la frayeur connue des « bêtes puantes ».Cette légende incrustée : « petits enfants ces minous noirs et blancs pissent inopinément des jets d’un liquide malodorant. » Autre évocation terrible : « il faut une pleine baignoire de jus de tomate pour arriver à se débarrasser de son pestilentiel fumet. » En villégiature, enfants, nous espérions ne jamais rencontrer de ces animaux-là.

MADEMOISELLE ORIFCE

Dans les années 1940, à Pointe Calumet, il en rodait et, rentrant des dancings, on fouillait des yeux le moindre fourré. La peur ! Or, un jour, toute une famille de mouffettes s’installa dans un cabanon sous les piquets de cèdre d’un chalet voisin, celui de mademoiselle Cherubina Orifice, italo-québécoise « encore belle », vieille-fille, journaliste à « Le Petit Journal ». Des ricaneurs l’appelaient  « Mamzelle » Dutrou. Le chalet de « Chérubine », et ses alentours, devinrent donc un lieu tabou. Enrageant pour la très sociable Melle Orifice. Tous, nous faisions de grands détours, Un ground zéro suspect en diable. Tout cet été-là, ce sera l’attente, le guet du cri fatal : « Melle Dutrou a été arrosée ! » Rien de moins que l’Apocalypse.

Un maraîcher, Ubald Proulx -« tomes, blés dingues, pommes à vendre »- qui n’avait pas froid au yeux, entreprit de délivrer la reporter de sa mise au rancart. Un soir d’août, Cherubina put sortir de « sa mise au ban » de notre société. Ubald avait installé des appâts, avait fait un feu et beaucoup de bruit. La grasse mouffette et ses rejetons furent vite réunis au fond de deux cages puis déportés dans un boisé de Saint-Joseph-du-lac.

Derrière la moustiquaire de sa véranda, Cherubina Orifice retrouva la paix avec ses amies, nos mères, veuves d’été. Les parties de cartes à dix cennes reprirent, son petit vin rouge home made coula de nouveau, et, à son flanc, son gramophone  victrola, His  master’s voice, reprit les chants opératiques avec  Caruso ou Benjamino Gigli.

COPAINS COMME COCHONS ?

Ainsi s’agrandit la peur des mouffettes. Je vis sur un volcan quand je rentre tard chez moi. Lui faire peur sans le vouloir pourrait me valoir un arrosage et j’ai toujours remis à « la semaine des quatre jeudis » d’organiser -tel le père Ubald- le piégeage de cette co-loc indésirable. Et puis, un matin d’octobre dernier, qui apercevons-nous sur la longue galerie d’en arrière ? La Marie ! En toute quiétude, mangeant des graines d’oiseau, à ses côtés, calme et nerveux à la fois, Jambe-de-bois, mon écureuil acrobate. Manque-t-il à ce point d’information ou d’expérience, ignore-t-il les satanées giclées impromptues ?

Assez ! On sort et l’écureuil disparaît puis la bête puante se sauve aussi, sans nous arroser, long escalier dévalé. Juste au pied, nous apercevrons, faisant ami-ami, Donalda, la marmotte du voisin Boisonneau. Vraiment en manque de camaraderie, Marie ? Non, notre demeure, son environnement, ne deviendront pas un zoo. Vifs coups frappés dans nos mains, hauts cris et  fuite du duo.

Enfin, la paix, cher poète Baudelaire, voici calme, beauté, luxe et volupté, ouvrons nos transats et nos chers livres. Bruits d’ailes ? Qui va là ? La nature toujours, car atterrit sur un bras de la galerie, notre familier -et pas du tout farouche- couple de tourterelles tristes. Ô beauté d’argile fauve au roux tout doux ! Aimez-vous les Laurentides ?

  Une réponse to “LA PEUR D’UNE CERTAINE « MARIE »”

  1. Monsieur Jasmin,

    J’adore les animaux et vos derniers écrits, malgré vos airs grand mâle, laisse entrevoir votre coeur d’enfant qui s’émerveille encore devant cette vie animale si intéressante et drôle à regarder.

    Continuer à nous faire rire, réfléchir et rêver!

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