Même si je déplore le Grignon du virage-à-droite qui, vieux, s’ajustait au bleu Tardivel en reniant les rouges audacieux, les Asselin, Fournier qu’il avait tant aimé. Lisez « Olivar Asselin, le pamphlétaire maudit », récit captivant exhumé -aux éditions Trois-Pistoles- par son neveu, Pïerre Grignon. Le prolifique feuilletoniste « très » confortablement installé prit peur face aux progrès collectifs. Prit la défense du cléricalisme étouffant, vantant le « Law and order
Admiration car je n’en reviendrai jamais de ce destin de fils-de-docteur-de-village qui s’enflamme, collégien, pour la littérature. Pour les grands penseurs de son époque. En ce tems-là c’était, ici, un vaste désert intellectuel…sauf justement des Asselin, des Fournier. À Montréal comme à Québec, c’était le règne de l’obéissance aveugle, des calculs sordides aux silences prudents. La totale soumission. Ce pauvre temps du jeune Claude-Henri fut celui des colonisés cocus contents. De 1850, avec nos patriotes étouffés dans l’Œuf, jusqu’en 1950, régiments de bons paroissiens frileux. Très peu de libres, vrais, citoyens. Tous les nôtres étaient chloroformés dans une religiosité -loin de la vraie foi- faite de piéticailleries et de dévotionnettes. Eh bien, un jeune homme de Sainte Adèle, orphelin de mère, veut et va riposter, ira au bord de la révolte, prendra de grands risques. Lisez son livre d’hommages à « son cher » Asselin qui, trop souvent, lui sert de tréteau à lui-même.
UN JEUNE HOMME LIBRE !
Épisode sombre ? Comme pour Gabrielle Roy, Grignon doit supporter certain membre de sa famille dérangeant. Cette solidarité familiale lui fera faire un faux-pas grave et le petit employé du gouvernement qu’il fut devra séjourner derrière les barreaux de la prison de Bordeaux. Bref épisode triste. Il est cependant renversant de constater le phénomène : un simple villageois des Laurentides, presque autodidacte avec son cours classique interrompu, va se transformer en rédacteur vitupérant, oh combien ! Il va composer, éditer et distribuer, tout seul, un magazine (plaquette mensuelle) rempli d’idées nouvelles -celles de son temps- cela avec un art de l’apostrophe fort courageux. Rue Morin, en haut de la côte éponyme, un homme libre reçoit des revues françaises d’avant-garde, les analyse, les décortique, les commente avec louanges ou blâmes. On lit ce « Valdombre », son surnom, avec des commentaires acides, des échos, des chroniques. Ce jeune autodidacte enthousiaste, vivant chichement dans un modeste village, espère que tous les Canadiens-français des années 1930 vont le lire, s’abonner. Que nenni, évidemment ! Alors, le jeune marié va en baver, tiendra pension, fera des élevages, va se débattre quoi.
Les textes tumultueux du fringant Valdombre, mythique patronyme, c’est vraiment hors du commun; je n’en reviendrai jamais. Ce fameux personnage « des années folles », d’avant la guerre de 39-45, vécut ici, à trois portes de chez moi ! Ma satisfaction de voir son nom accolé à une biblio, à des rues, à un parc ou à un projet de centre culturel. Un pionnier en polémiques et méritant ! Après ? Ah « après »… l’échec de sa revue engagée, il y aura la lutte pour vivre. Combat comme pour n’importe quel jeune créateur, fille ou garçon de maintenant. Pamphlétaire sans grand public, Grignon décide qu’il fera un roman. Ce sera « Un homme et son péché », que j’ai relu, qui est bien fait, bref, mené solidement. Un avaricieux vicieux, à l’usufruit honteux et qui manipulera les villageois. Le court récit obtiendra un fort succès. Deviendra une « histoire-à-suivre…à n’en plus finir, cela avec la fidélité d’audiences énormes à la radio et puis à la télé.
DOUZAINES DE SILHOUETTES COCASSSES
Désormais le vociférateur va se calmer et Claude-Henri Grignon ne manquera plus jamais de rien. Dorénavant, ce nouveau Grignon, un temps écolier buissonnier puis vagabond, jeune bohémien montréalais -cassé comme un clou- romantique désespéré, va vivre en paix. Ce romancier se meut en scripteur de dialogues et va allonger sa bonne veine. La popularité du sinistre héros, Séraphin, sera immense. Grignon va étirer sa bonne sauce, sa ménagerie humaine ira se multipliant en rejetons cocasses. N’empêche que l’adèlois devra concocter mile et mille péripéties, cela année après année. Distrait ? Frileux ? Craintif de brasser l’ordre des choses, il se fera pépère et conservateur.
En France occupé chez des auteurs surdoués, ce sera bien pire avec les Drieu de La Rochelle, Brasillach ou le génial Ferdinand Céline. Ici aussi, un certain confort conduira à des reniements. L’ex-Lion du nord se métamorphosera en défenseur du duplessiste qui agonisait. Il l’avait combattu. Antisyndical, anti-libéral, anti-progrès social Grignon s’en prendra à notre -si nécessaire- Révolution tranquille. Aussi à notre normal nationalisme et, à la fin, à l’indispensable réformateur René Lévesque, que Grignon à la télé -stipendié en 1962 par l’Union nationale- peindra en « un ennemi du peuple » !
Avant de trépasser, avec tristesse, on a pu le voir délirer chez Fernand Séguin pris de quérulence. Paranoïaque, il déclara que, hors du studio, des agents de la RCMP le suivaient ! Nous, jeunes écrivains, on en eut de la peine. Tout cela dit -sénilité courante ?- il n’en reste pas moins que Grignon a droit à ses monuments actuels car il a su divertir une nation entière décennie après décennie, à partir d’un fourbe personnage, ce Séraphin, le mal nommé, plutôt archange-du-mal qu’un ange séraphique, c’était Lucifer à Sainte Adèle ! Claude-Henri Grignon a su entourer son vilain d’une panoplie savoureuse, collection imposante de silhouettes colorées grouillantes, gens d’un Sainte Adèle d’antan que camperont des douzaines de nos bons talents dramatiques. Ça n’est pas rien, les jaloux, essayez-vous.
Vive donc ce Grignon-là ! Il fut l’inlassable inventeur d’une télégénique et cinématographique faune villageoise laurentienne absolument inouïe !
2 Réponses to “VIVE CLAUDE-HENRI GRIGNON !”
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Je connaissais le Grignon du début, jusqu’à son œuvre maitresse, Un Homme et son Péché. C’est avec chagrin que vous m’apprenez son «revirement de capot» …
Dommage ! mais je suis d’accord qu’on lui laisse les témoignages muets mais mérités que Ste-Adèle lui a offerts.
Je suis content d’être passé de libéral ébloui par Trudeau il y a tente ans à indépendantiste dur-de-dur maintenant. Je vais mourir content !
Merci pour le tableau que vous avez brossé de m. Grignon. On oublie souvent, bien que notre devise soit: «Je me souviens!», qu’avant nous des humains vécurent, écrivèrent, contestèrent - à leur manière - et développèrent parfois des idées contradictoires par le simple passage du temps. «Réformateur à vingt ans, conservateur à quarante.» Grignon fut l’un d’entre eux. D’autres le précédèrent, d’autres le suivront.
À propos, nous devrions proposer d’amender cette devise par la suivant: «Je ne veux pas me souvenir» ou «Je ne me souviens pas!». L’histoire, comme la littérature n’intéresse plus personne et n’a intéresé que quelques uns dans le passé. Les écrivains et écrivaines, sont devenus des héros et des héroïnes mineurs qui ne possèdent plus l’influence sur le déroulement de la société.