TROP TARD POUR REMERCIER ?
9 octobre 2005 | 1-Tout, Beaux textes, Contes
(LU EN ONDES À RADIO-BOOMER, 1570 a.m. le LUNDI 10 OCTOBRE : fête de l’Action de Grâce.)
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Un conte inédit de CLAUDE JASMIN
Mesdames, messieurs, c’est le désarroi, la panique, aujourd’hui en cette Fête de l’action de Grâce. Drôle de fête ! Vous avez entendu le bulletin de notre Jacques ! Vous le savez déjà sans doute un bombe a éclaté au milieu de la ville à Montréal. Aux dernières nouvelles, il s’agirait d’un engin complexe d’ordre nucléaire. L’on parle, selon les premiers rapports, d’une bombe achetée sur un certain marché noir depuis l’effondrement de l’URSS en 1990. On parle d’une mafia sophistiquée. Qui a trouvé une clientèle idéale pour écouler ces armes effroyables. Bien entendu, on a pu voir et entendre le communiqué, triomphal et montré, remontré, à une chaîne de télé arabe bien connu, c’est signé : Al-Quarzoui, ce chef de guerre de l’islamisme radical. Je cite : « C’est un avertissement aux croisés décadents enragés de l’Occident. Il y a Montréal, en Amérique du Nord mais, dit ce communiqué, il y aura d’autres cibles encore plus importantes».
Mesdames, messieurs, les aéroports d’Amérique sont fermés. Le nouveau Président des États-Unis a fait connaître sa révulsion de « ce terrorisme à Montréal, absolument écoeurant », ce sont ses mots. De tous les pays du monde occidental nous parviennent des témoignages de sympathie et, des grandes puissances, des promesses de châtier sévèrement ces jeunes déséquilibrés militants qui ne font que dévoyer le Coran, religion pourtant autant respectable que les autres monothéismes. Je suis, comme tant d’autres, rivé à mon micro et, dans ce studio, j’ai le regard fixé sur les images de télé. Ce fut donc un carnage impossible à décrire. Cet engin nucléaire a réduit en cendres encore fumantes, ici, à Montréal, tout un quartier. Cela s’adonne que c’est Villeray, le quartier de ma jeunesse Adieu petite patrie chérie. Voici donc un jour de fête tourné en un fatal chantier de débris. Les dégâts vont de la Gare Jean Talon à l’ouest jusqu’à Saint-Léonard et Ville St-Michel à l’est. Au nord, on rapporte que l’Église St-Vincent Ferrier, rue Jarry n’est que décombres, au sud, cette église « vendue en condos », St-Jean de la Croix est aussi un amas de ruines. Le 11 septembre 2001 à New York paraît un accident grave mais mineur par rapport a l’explosion de Montréal de ce jour, les morts du métro de Londres, de celui de Madrid, sont eux aussi ramenés à des attentats d’une moindre gravité. Oh comme tout est relatif ! Un jour d’action de Grâces ! Jour caricaturé par la haine des fanatiques.
On ne compte plus, dit-on, les ambulance qui sillonnent les alentours de ce macabre charnier. En vain car dit-on il n’y a pas de survivants. Les pompiers ne sont pas moins futiles, et les sapeurs n’éteignent aucun feu, ils sont transformés en funèbres brancardiers. Civières remplies de tas d’os noircis ! La police, venant de partout, tente de garder à bonne distance les citoyens accourus vers les lieux du désespoir. Ainsi, nous, Montréalais, Québécois, peuple pacifique, sommes devenus à notre tour la proie du fanatisme Mahométan fou de ce début de siècle. On ne retrouvera jamais les jeunes kamikazes parmi tous ces restes humains carbonisés, impossibles à identifier. L’explosion a eu lieu ce matin, tôt. Je venais à ce micro comme toujours descendant de nos collines laurentiennes en « feux sang et or », si jolis en octobre. Je n’avais pas mis la radio dans ma Beetle ce matin, quand, aussitôt arrivé, je découvris la catastrophe. Étrange Fête de l’Action de Grâces ? Il y a cinq ans, c’était, ici, une gentille fête pour inaugurer notre « Radio-Boomer », c’était en 2005, jour de réjouissances. Ici, à Laval, au bord de la 440, comme ailleurs maintenant c’est funèbre, l’athmosphère dans les parages. Il semble faire nuit en plein jour. Et c’est, sans cesse, le flot des noires image, sur tous les canaux de télé du monde, atroces images d’un Montréal bombardé. Ainsi nous vivions insouciants, nous croyions posséder cette bonne paix des petits pays tranquilles et crac ! la mort s’installe, en quelques secondes. Ce jour d’action de Gâces, n’en doutons pas une seconde, va poser une pierre noire sur le calendrier des jours qui s’écoulaient jadis en douceur. L’automne du Parc Jarry au couleurs flamboyantes vient de se changer à un paysage pitoyable. Un pré de cendres grises ! Des parents en larmes, des amis, s’effondrent, on en voit en ce moment à genoux dans les rues des alentours du volcan maudit qui prient le ciel. Trop tard ?
Mais oui, nous vivons la plupart sans soucis très graves, nous allions au boulot sereinement et soudainement c’est l’apocalypse-à-Montréal ! La fin du monde là dans ce quartier central. On rapporte qu’on se réfugie en foules tout au haut du mont Royal, d’autres se rassemblent au Parc Lafontaine ou au Jardin Botanique. Beaucoup fuient à l’ouest vers Vaudreuil ou à l’est, vers Repentigny ou encore vers la Rive Sud . Tous les ponts sont surchargés. Rien ne garantit qu’il n’y aura pas une deuxième bombe nucléaire. Ces sales engins mal remisés étaient si nombreuses du temps de l’URSS. Ces ex-soviétiques devenus de maffieux vendeurs d’armes nucléaires, ces mafiosi russes recyclés en spéculateurs avec l’Enfer, ils sont à maudire. On a pu voir le visage de jocrisse de Ben Laden dans sa cachette pakistanaise, caverne du diable, tout souriant de cette funeste semence de mort à Montréal.
Des jeunes soldats d’ici sont là-bas justement dont mon neveu Pierre-Luc. Pierre-Luc ? tue la bête, étrangle la bête ! Tout l’Occident est ravagé aujourd’hui. Montréal a cent et mille alliés désormais. L’occident est épouvantablement angoissé. À qui le tour…? où ? Il n’y a plus de sécurité nulle part, se disent les foules atterrées. Jamais cette Fête d’Action de Grâces ne fut plus mal nommée que dans ce Montréal gravement percé, troué. Est-il…trop tard pour prendre une résolution ?, Pour mieux savoir apprécier la vie ici. Ainsi nulle pace dans le monde entier n’est donc à l’abri d’un sort aussi fatalement mortuaire ? Ainsi, nous aurions dû mieux fêter L’Action de Grâce, en 2005. En 2006, en 2007, etc. Mieux apprécier notre paix qui a régné si longtemps. Combien de jours d’Action de Grâces passés innocemment, fermés à double tour sur nos égoïsmes ? Répondre sincèrement. Sans remercier la Providence pour notre paix durable… si longtemps avant aujourd’hui. Grâces jamais dites pour une vie à l’abri des conflits de la terre, de la terrifiante pauvreté africaine. Ou celle d’Amérique du sud. Nous avions tout, nous profitions de tout, nous déambulions torse bombé : nous ne devions rien à personne. Quoi rendre grâces ?, remercier qui ? « personne », nous disions-nous. Nous venons d’apprendre que l’Action de Grâces aurait pu avoir un sens, que nous aurions été sages d’être reconnaissants, de remercier le ciel, le Créateur ou Allah, ou Jéhovah. Ou Dieu si on y croit, pour tant de confort, tant de paix.
Bon. J’irai maintenant en ville, tenter de savoir si les miens, mes sœurs de Rosemont, sont saines et sauves. Mon frères à Ahuntsic est-il bien vivant ? Le vieil oncle Léo, alité à l’hôpital Jean-Talon, ne doit plus exister, misère ! Cette tante vendeuse au kiosque à journaux du métro Jean-Talon ? pulvérisée. Sans doute. Revoir des nièces, ce cousin gentil serveur à la CASA ITALIA. Mes vieux parents sont morts en 1987, mon Dieu, ils auraient pu se faire anéantir, péter en mille morceaux sur leur balcon de la rue St-Denis. Papa, maman, pris vifs dans cette fournaise atomique « made in URSS ». Tant mieux : ils ne verront pas leur quartier bien-aimé en ruines, leur cher marché Jean Talon disparu à jamais, leur pratique Plaza St-Hubert envolée, leur église Ste-Cécile rentrée dans la terre, et, rue De Gaspé, rue Henri-Julien, nos écoles d’enfance… en fumées parties. Ils ne verront pas leurs voisins en squelettes broyés, ils ne verront pas les rues en cratères, les maisons rasées. Retraités à Marie-Rollet, ils n’entendront pas ces descriptions anxieuses que font en ce moment même tous les reporters.
Oui, il y a cinq ans, en octobre 2005, j’étais venu enregistrer un gentil conte pour illustrer cette fête d’octobre. La vie était belle en ce temps-là. Jamais je n’aurais cru devoir vite aller enquêter dans Villeray « mort et enterré ». Je m’imaginais, je suis comme tout le monde, que notre existence en ce coin du monde était sous une garantie-sans-conditions. Du bon vieux Maytag ! Celle d’une vie calme et douce. Quoi ajouter ? Rendre grâces pour ma sauvegarde. Diable, avant-hier, j’étais là, rue Christophe Colomb au Centre Le Prévost, je faisais joyeusement ma causerie dans la coquette bibliothèque, je racontais justement cette belle jeunesse des années 1940, des années 1950. Bonheur candide. Voici que mon récit est devenu caduc. Voici que c’est « la fin du monde » dans mes souvenirs. Rendre grâces aujourd’hui même, en ce jour qui s’est maquillé en mini-Hiroshima, en petit Nagasaki, ce n’est pas facile du tout. Quoi qu’il en soit, avant de descendre à ce vaste cimetière bombardé oui, murmurer au moins : merci. Merci pour la vie. Ne plus jamais oublier, au moins une fois par année, en début d’octobre, de rendre grâces si on a la chance d’être encore du monde des vivants. Bon. J’y vais. Allons voir les traces démoniaques d’une poignée qui ont la haine au cœur, quand, ici, le ciel est si beau, les couleurs des érables, oui, luisent de sang et d’or. D’un sang végétal innocent qui n’a tué personne. La nature donnant le bon exemple sur une planète dont l’Orient contient des jeunesses mal prêchées par des imans-prêtres dégénérés. Salut amis, courage camarades en cette fête d’Action de grâces bien singulière.