L’EXILÉ (Ernesto)
9 janvier 2006 |
Étrange réalité : quand j’ai offert toutes mes archives à la biblio nationale, on me dit : « avez-vous dans votre stock de paperasses, des romans avortés » ?, je dis : « oui, beaucoup », et eux : « ah, merveilleux, bravo, formidable! », ma surprise, il semblait que ces « ouvrages interrompus » avaient une grande valeur archivistique, aussi, je me dit : pourquoi pas, ici même, offrir à mes lecteurs deux « avortements » récents : « l’exilé… » et « l’écume… », deux neuves tentatives de « partir » un roman et qui viennent d’échouer puisque je me cherche une troisième idée de roman, une autre voie d’inspiration… avec l’intuition —ne me demandez pas pourquoi— que ce sera, cette fois troisième, un scénario pour la télé ou le cinéma. (poing comme net)
ESSAI, 30 nov. 02 « L’exilé (Ernesto) » chapitre 1
C’est facile : il n’y a qu’à ne jamais monter à sa chambre. La jeunesse, la beauté féminine dort là-haut et je ne dois, jamais, y avoir accès. Combien de temps va durer cette situation ? Il n’en tient qu’à moi. Je fais un métier hors de l’ordinaire. J’ai ma mission. J’ai appris ce métier étrange. Je sais comment l’exercer. Je ne sais rien d’autre. Voilà déjà…déjà ?, tout un mois, trente jours, que je suis installé dans ce coin de pays. C’est le paradis. C’est la misère aussi. Devoir me débrouiller au milieu de ces gens simples, si démunis. Ne rien promettre. Ils le savent : je suis un bon à rien. Quand je suis arrivé, à la mi-janvier, la dépouille de mon prédécesseur avait été renvoyée chez lui. C’était un saint, m’a-t-on dit. Ce pauvre vieillard dévoué est mort assassiné. On lui a volé des riens. Radio, couteaux de cuisine, des chaudrons, du linge…Omer —c’est son nom— est revenu au moment où son petit voleur ne l’attendait pas,. La peur et la surprise. Coups de poignard. La mort. La police l’a vite trouvé et l’a mis en prison ce jeune brigand. Je suis allé le visiter. Je l’ai confessé. Il pleure. Il regrette. Pas vu une seule goutte de pluie depuis mon arrivée. Trente jours de beau soleil.
Au bout du chemin qui conduit à ma maisonnette, la mer. Par ma fenêtre je vois une dizaine de garçon, pas très loin au large, qui pêchent dans trois ou quatre barques rustiques. Il y a du vent. Les têtes des palmiers ondulent. . Des oiseaux grignotent sur le rivage. Je ne sais quoi. Depuis une semaine j’éprouve des maux de ventre. Serait-ce la nourriture d’ici. S’habituer peu à peu. Maria va passer encore vers midi. Son nettoyage hebdomadaire. Il fallait faire —on me l’a fait comprendre comme Omer-le-saint.
Adopter ses façons. Ainsi, garder cette Maria avec moi, chez moi. Comme on m’a expliqué avant de partir : « ici, il faut qu’un homme s’installe avec une femme ». Autrement aucun succès de mission. J’ai accepté. Tout. J’ai embrassé mon étrange métier dans l’obéissance entière. Angela dort toujours. J’ai fait du café. Je lis.
Une vie de cette étonnante Thérèse. Celle d’Avila. Comme hier, comme avant-hier, elle va descendre de sa chambre toute joyeuse. Sa perpétuelle bonne humeur ajoute à ce climat paradisiaque. Le chef du village, comme tous les lundis, va me faire sa visite. Diego joue l’important et cela me fait sourire. Il fera encore une sorte de bilan. Me racontera les efforts qu’il fait pour conserver à ce patelin perdu toutes es vertus : la paix, l’harmonie, la joie de vivre. Aucun doute qu’il va encore me dérouler ces plans en vue d’une installation touristique…à venir. Il rêve du jour où ce grand financier, venu de Paris, tiendra parole. Sur les plans de ce crésus espéré, un hôtel à deux étages, plusieurs dizaines de petits pavillons, deux piscines, des jardins splendide, tout un aménagement paysager. Ce maire-policier, Diego, en a les yeux mouillés quand il veut que je me penche à ses côtés pour examiner sans cesse les jolis dessins, les belles illustrations en couleurs du futur Éden. Voilà bien deux ans qu’il guette le retour de ce sauveur. Diego dit, répète : «Vous aurez droit à des changements, à de la modernisation. C’est prévu. Une jolie maison, en vraies briques, un sanctuaire plein de verdure avec des sculptures, ,une volière, un petit jardin botanique, il y aura, vous verrez, une très jolie chapelle avec des fresques, un échantillon des reliques primitives, des reproductions de nos vieux dieux. De l’éclairage sophistoquée, du chauffage sérieux pour les mauvais jours en juillet et en août ». Il soupire, allume son cigare, jette son chapeau sur son cou, étire les jambes, étend les bras : « Ah oui, Ernesto, enfin nous sortirons de l’ombre. Enfin, bientôt, nous serons sur la carte ». Quand je lui dis : « Ils vont revenir quand au juste vos magnats, Diego » ?Il devient tout sombre et s’en va en roulant les… promesses.
Angela descend. Ses longs cheveux noirs couvrant complètement ses épaules. Elle a mis sa robe rouge. Ses beaux yeux noirs brillent.
Elle ne va pas à ma chambre comme chaque matin, elle sait que c’est le jour de Maria et qu’elle n’aura donc rien à faire aujourd’hui. Maria voit même aux repas à son jour de visite. Après le café, elle ira à la boutique des artisans locaux. On l’estime fort puisqu’elle est très habile en tressages de toutes sortes. J’irai à mon école à côté de la chapelle. J’ai une vingtaine d’élèves. lls sont studieux, font bien leurs devoirs. J’ai réussi à me faire aimer d’eux dès mon arrivée. Ils se moquaient —ils l’ont avoué— du vieux Omer, devenu sourd et plus myope. Ils cachaient ses lunettes. Ses manuels scolaires. Changeaient leurs notes. Avec moi, c’est le silence, l’obéissance. J’ai organisé des sortes de tournois avec les écoles de trois village voisins. Ils veulent triompher en ces concours. J’ai amené ainsi de l’émulation. Ça fonctionne. Chaque mois, il y aura comparaisons des résultats. Avec des prix aux plus forts. Ça marche bien. Ils s’y préparent ave entrain. Je les aime.
Ma vie. Ma nouvelle vie.
Là-bas, j’étais rien, pas grand chose, une sorte de modeste et peu efficace petit conseiller moral dans deux centres d’accueils remplis de vieilles et de vieux. Ici, contraste, tout le monde est jeune. Ma longue maladie dans mon pays d’origine —poumons trop faibles— m’a conduit dans ce pays chaud. Sorti d’une clinique-sanatorium, ce fut cette nomination et ce départ. L’exil. Les adieux aux miens. Des cours de préparation. Quatre mois. L’étude des us et coutumes de ce pays tropical. Mon destin.
Comment oublier la rencontre avec mon supérieur un matin d’avant mon départ : «Nous allons devoir vous fournir une épouse. C’est arrangé avec nos gens là-bas. C’est obligatoire ». Ma surprise alors ! Totale.
« Ne vous en faites pas, il y a une permission spéciale de hautes autorités. C’est obligatoire si vous voulez bénéficier d’un minium de considération. Votre prédécesseur avait cela, lui aussi, une femme. Sans cela vous n’arriverez à rien. On se détournerait de vous ». J’ai obéi. J’ai rencontré « la veuve »—si je puis dire— du Omer assassiné. Carmen. Une dame encore jeune mais aux cheveux gris, un peu courbée. De longues dents jaunes. Des yeux verts. Un bon visage. Sourires fréquents. Un nez crochu. Une fameuse cuisinière. Tant qu’elle tenait, après l’école, une sorte de cantine ouverte aux villageois. Bon marché. Très fréquentée sa cuisine. J’ai essayé plusieurs fois de faire parler « la veuve » Carmen. Vainement. Quand j’ai osé : « Carmen ? Vous l’aimiez beaucoup votre compagnon, Omer » ? « Il était mon vrai père, un papa merveilleux ». Ce fut tout. Depuis quinze jours, je dors mal. Très mal. Je pense souvent à elle, là-haut. À cette jeune fille qui attend peut-être…une vie de couple normal. Je pense à moi qui la laisse dormir seule. Misère, quoi faire ? On ne m’a rien dit. Quand j’ai parlé à mon conseiller spirituel, « Est-ce que cette femme, là-bas, cette jeune Angela, s’attend à… des choses avec moi… comme époux obligé… », ce sera :« Vous ferez comme bon vous semble, vous êtes libre sur ce rapport, l’essentiel est que vous puissiez accomplir votre mission ». J’ai eu envie, il y a quelques jours, d’écrire à mes parents : « j’ai une femme avec moi, c’était une obligation sociale par ici et c’est permis pour cette contrée… »Réponse par retour du courrier, mon père : « Très bien, cette épouse. Est-elle jolie au moins ? Avons hâte de voir des photos, un de ces jours, des premiers petits enfants ». Dans une autre lettre ma mère m’annonçait qu’ils ramassaient de l’argent pour pouvoir, l’an prochain, me rendre visite. Malaise chez moi.
Maria partie, j’ai fait un feu de joie sur la plage. Angela s’est mis nue. Puis elle est venue se blottir dans mes bras. La première femme nue de ma vie !Elle n’en peut plus de cet homme qui fait…chambre à part, me suis-je dit. Maladresse. Mes pauvres rares caresses, très maladroites. Incapable de répondre à son premier baiser. Je me suis enfui. Ma honte. J’ai couru me réfugier dans ma chambre et je suis tombé à genoux. J’étais terrifié. J’ai perdu conscience du temps qui passait. Je priais.
Quand Angela est rentrée, longtemps après cette involontaire rebuffade, ce rejet qui a dû lui paraître anormal, je l’ai entendue monter lentement à sa chambre. Je me suis secoué et je suis allé la voir. Elle buvait du rhum dans une large tasse. Elle avait pleuré, c’était visible. Je ne disais rien, je cherchais des mots. Commet lui expliquer qui je suis vraiment. Un homme qui a renoncé à des choses. Un homme consacré. Un homme qui a fait des vœux. Mais elle a parlé avant moi : « Je ne te plais pas. C’est ça ? Tu vas me changer ? Tu veux une autre sorte de femme » ? J’ai dit : « Dans mon pays, nous vivons sans épouse. C’est notre loi à nous, aux hommes de ma sorte. Si tu veux, tu peux t’en aller, Angela. celle qui te remplacera devra accepter cette situation ». Elle a enlevé son linge, s’est jetée dans son lit. A ouvert les bras, a fermé les yeux, souriait . Je me suis étendu à ses côtés. Tout près d’elle. Je tremblais. Je frissonnais. Je ne savais pas ce que je devais faire. J’ai fermé les yeux moi aussi. Je ne savais rien. J’étais un homme innocent de vingt-six ans. J’ignorais ce qu’un homme doit faire auprès d’une femme offerte. Elle refusait donc de me comprendre.
Je me suis endormi —une fuite— car le lendemain, réveillé enfin, j’étais seul dans son lit et j’entendais Angela chantonner en préparant le petit déjeuner dans la cuisine en bas. Par la fenêtre grande ouverte le soleil brillait comme toujours, un vent très fort faisait se frotter les têtes des arbres contre les murs de la maisonnette, j’entendais le stimulant bruit rageur des vagues. Je me suis agenouillé : « Mon Dieu, me voici plongé dans un monde inconnu, je refuse de sombrer, je sus venu servir ici, je serai cet homme avec un seul but, je serai cet homme fort mais il faut aider cette jeune femme, il faut lui communiquer ma foi, ma passion, ma mission, faites qu’elle accepte, faites que mon Angela puisse vivre en continuant de chanter auprès de cet homme qui refuse le plaisir humain de la chair…ou bien faites qu’elle parte, que l’on m’offre une autre épouse d’arrangement , une vieille femme qui a abandonné le monde du désir humain… »Je veux le bonheur de cette jeune femme, je veux rester ce que j’ai promis, ce que je suis, ce que j’ai accepté complètement à vingt ans, si c’est impossible faites que l’on me ramène chez moi dans ce pays où il fait très froid en ce moment, que je retourne en mon pays de neiges durables, faites que votre volonté . se réalise quoiqu’il arrive…Alors, j’ai vu Angela dans l’embrasure de la porte, nue encore, si belle dans le soleil inondant sa chambre, un sourire lumineux, elle m’a ouvert les bras et c’était comme si Dieu lui-même me répondait, il fallait donc assumer mon rôle…Comme un homme. Je craignais une astuce du démon. J’ai ramassé mes sandales et je suis sorti en trombe, les yeux fermés. Je l’ai alors entendue rire, d’un rire rauque, comme si elle devenait folle.
J’en étais malade. J’ai couru vers la rue du chef. Je voulais une autre femme, une laide, une malade, une bossue, n’importe qui, une femme vieille qui serait satisfaite, heureuse même, d’être la compagne futile d’un homme sans désir charnel aucun. D’un jeune homme exilé loin de chez lui, loin des siens, qui a fait des promesses solennelles. Le chef buvait du thé, dehors, allongé dans un grand hamac de toile salie. Il me souriait, il voyait bien venir un homme excité, énervé, criant muettement « au secours Chef ». Deux gros oiseaux violets à têtes couronnées de sang voletaient devant moi qui titubait, leurs cris de mort. se faisaient entendre. J’entendais : « fou, tuez-le, fou, tuez-le ».
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