J’ai croisé un grand bandit !
12 juillet 2006 | 1-Tout, Cinéma, Poing-comme-net, Portraits, Souvenirs
À la télé, ça jasait d’un projet de film sur un bandit québécois notoire, un homme recherché dans toutes les Amériques, l’ennemi numéro un. C’était avant le fameux Lucien Rivard, qui fut un très actif agent politique des Libéraux des années 1960. Sur Rivard, un film se prépare aussi (M. Binamé). Pour ce Lemay, l’écran de ma mémoire s’est allumé : c’était le début d’un bel été, j’avais 20 ans, on m’avait embauché pour décorer un « Salon du livre » estival dans le curling d’un hôtel laurentien. Une fin d’après-midi, pause et une chic « dame patronnesse » m’invitait, avec d’autres bénévoles : « Allons faire une visite chez un de nos généreux donateurs qui est mon ami ». Ma coccinelle dans ce petit cortège, et, arrivant à un ponton, arrêt à un carrefour modeste pour une obole à jeter dans un « tronc » fixé à un Sacré-Cœur de béton, géant ! Ma chic dame aux cheveux bleus riait : « C’est un rituel pour entrer dans cet Îlot de Mont-Rolland ».
Nous parvenons ensuite à un chalet à la rusticité très confortable, cheminée énorme, grand salon. Grogs alcoolisés, canapés goûteux, sofas accueillants. Soudain, séance de cinéma porno et je déguerpis, allergique au stupide onanisme du voyeurisme. Dame Fausse-Blondeur m’avait présenté au Sieur-en-L’Île : « Voici notre artiste-décorateur pour le Salon ». L’hôte ? Un certain Businessman. Comment savoir que cet aimable « souteneur culturel » allait monter bientôt l’arnaques des arnaques. Où ça ? Dans le Vieux-Montréal, la stupéfaction, la voûte d’une importante banque totalement vidée. Ce mossieu se signala comme le cerveau du « grand hold-up désarmé » de cette époque. Valeur ? Environ sept millions… difficile à évaluer car les coffres secrets furent aussi mis à sac.
Notre « héros » avait d’abord loué un logement en face de la banque pour de l’observation indispensable et ses plans à étaler. Fin du reluquage un vendredi soir tard, début d’un ouvrage inouï. Des taupes pour un souterrain traversant la rue et aboutissant sous le plancher de la voûte. La porte blindée sautait et ouvrez les sacs ! La police fut littéralement dévastée. Le populo balançait entre condamnation et admiration. De Tokio à Paris, on pouvait lire dans les gazettes : « À Montréal, un coup digne du fameux « vol du train postal » en Angleterre ! »
Hélas, on trouva l’empreinte de l’un… des fidèles. Délation obligée et le « héros du tunnel », orphelin de père, fils unique d’une riche agente immobilière, en eut sa binette épinglée sur les pare-soleil de toutes les voitures de police. Peine perdue, il fut introuvable ! La sœur de son avocat, un célèbre criminaliste, fut la première épouse de ce prodigieux Fantomas, une jolie « Miss Beauté. Manchette un jour : elle fut « portée disparue » au pays de Michel Tremblay, des keys floridiens.
Le fuyard, avec son pactole, se fit une nouvelle « blonde » pour vivre « en paix » à Fort Lauderdale lieu à canaux, à cachettes. Son « home » ? Un yatch de grand luxe. On ne savait pas qu’il avait soutenu un Salon du livre un temps ! Il finit par lever l’ancre et, en Cadillac, fila en Californie, se baptisant M. Palmer. Déguisé en bon papa, il reconduisait sa fillette à son école privée. Pour son malheur, joueur, il déménagea encore, où ? dans la ville estimée du gérant de Céliiiiine. Du « Cirque du Soleil » dorénavant. Ô Casino ! C’est là qu’un simple quidam d’ici reconnut le héros de jadis et signala la police !
Ce fut un retour menotté, au Québec, et grand procès. Notre brillant « maître-creuseur » se ramassa pensionnaire au « collège Leclerc », le pénitencier. Il y joua les princes graisseurs de pattes; c’était avant la syndicalisation sécurisante de la « gardiennerie » en uniforme. L’avez-vous vu, Canal D, vieilli, sorti de « l’hôpital », comme le racontait filialement l’ex-fillette ? Elle en jasait, encore émerveillée, au Canal D ? La suite ? Peine purgée, libéré, « l’homme au fabuleux tunnel », fort incorrigible, fit l’installation, au bord de la rivière des Prairies, d’un laboratoire clandestin. Dont les produits « hallucinants » devaient lui amener bien davantage de fric que son tunnel génial. Mais la police, surveillant l’entrepôt, y renifla de bizarres odeurs ! De nouveau, il fut pris la main dans… les éprouvettes de ses alambics et ce sera le retour au « pensionnat ».
Y monta-t-il un mini Salon du livre ? Sa carrière s’achevait… libération de nouveau, et l’on perdit sa trace. Et aussi le souvenir de cet historique tunnel dans le Vieux. Écoutant, en reprise, les souvenirs de l’ex-fillette docile et innocente, je me suis souvenu du bizarre mécène qui vivait dans une île laurentienne, là où il fallait verser un écot sonnant et trébuchant au Sacré-Coeur de béton ! En cet été de 1958, je ne savais pas encore que je ferais des romans. J’aurais pris des notes, car, sans le savoir, je croisais un super-héros de polar alors que j’étais un simple et modeste étalagiste.