Le Recommencement
9 janvier 2006 |
« LE RECOMMENCEMENT »
UN CONTE
(pour enfants, adolescents ?)
IDÉE : À PARTIR DE TACHISMES, faire un livre très illustré
- (pour René Jacob édit. ?).
- Les illustrations forment le squelette (visuel) du récit.
- Faire une première image (tache) et puis écrire là-dessus. Ainsi de suite.
-
Sorte de « Le petit prince » en récit d’anticipation.
- Équipe de sauveteurs, de fuyards ?
Neige et glace partout ? Les feuilles à dessin si blanches.
- Ils sont six. (Des survivants.)
- En camisoles scaphandres, masqués.
- Il y aurait eu chutes célestes, gigantesques, comètes tombées sur terre.
- Exemple : Les USA ? Disparus de la carte. L’Afrique aussi. Toute l’Europe centrale et occidentale. L’Asie épargnée.
- Ne reste que des bouts de continents au nord et au sud de la mappemonde :
- Climats déréglés. Réchauffement bousculé, stoppé.
ÉQUIPE : David, Laurent, Simon. Trio d’avant-garde. Gabriel et Thomas, assistants brillants. Plusse « le seul vieux », moi ? Marches sur les glaces et découvertes : via « les taches » : Monstres. Cabanes. Extraterrestres ? Etc. Etc.
- Sorte de « bd » mais sans les phylactères stéréotypés.
- En arrière, un poste, une base. Va et vient entre les deux équipes.
- Ce poste de base (tentes modernes dans un ballon) les suit, se déplace.
UN BON JOUR : Le ciel s’éclaire ! (une aube soudaine !).
- Le soleil sera de retour au bout du voyage. À la toute fin. Une maigre fleur, oh !
- Le recommencement du monde. Un « Noé » moderniste !
LE RECOMMENCEMENT
Roman
Claude Jasmin
Chapitre 1
Nous marchions maintenant. Un nouveau jour vide ? De nouveaux efforts vains ? « Go north youg man ! » Toujours plus au nord. Notre base, notre ballon vert était laissé avec le reste de notre équipe. Avant de partir, nous avons appris vaguement, par notre précieux radio émetteur, qu’il ne restait plus, épargnés, que ces régions polaires de la terre. Il n’y avait plus rien au milieu de globe. La pluie d’astéroïdes avait frappé tout le centre de notre planète. Restaient donc, pas trop loin, intacts, notre « nord « ».
Effacée de la nouvelle mappemonde, l’Afrique, feux, fumées, magma informe, toute entière évaporée. Les Etats-Unis ? De même. L’Europe presque entièrement. La Finlande à demi épargnée par le cataclysme. Comme le nord de la Norvège.
Comme le nord du Québec.
Nous marchions tous les six sous ce ciel encore gris, si sombre, de l’ardoise partout. Dans le ballon vert, sont restés « les grands ». Nous n’avions que six scaphandres, six camisoles spéciales. Six masques. Avec le Clovis à Raymonde, seul vieux du groupe, nous marchions vers cette trop faible lumière à l’horizon, au nord du nord. Notre gentil vieillard nous rassurait. Nous étions sommes partis depuis une semaine de Chibougamau, où le ciel est couvert comme partout ailleurs au sud.
L’espoir. L’espoir qui nous tenaille, qui nous tient lieu de boussole salutaire, de courage, cette faible lueur devant nous. Chaque jour, notre dur devoir : allez un peu plus loin et puis revenir au ballon après des heures de recherches, faire notre rapport. Ensuite, tout le monde à bord et voler davantage.
Ce ballon vert si précieux. Nous dressions une sorte de carte topographique, aride, celle de notre lent itinéraire d’inspecteurs prudents. Bien noter en somme ce que l’on a pu voir. Malgré l’ardoise maudite, opaque, ciel tableau noir ! Noter soigneusement ce que l’on a pu découvrir. Dresser des bilans. Garder l’espoir vivant. Nous devions nous en sortir. Instinct de survie. Nous devons arriver, un jour, à trouver un point sur cette terre dévastée où nous installer.
Pour recommencer. Pour revivre. Tenter de nos réinstaller quelque part sur ce globe terrestre.
Ce jour-là, vers midi, grande excitation. C’est Gabriel, le premier, qui a vu la chose. Ses cris. Il est venu vers nous, très excité, manquant de tomber à chaque pas. Comme nous marchions toujours distanciés de quelques mètres, il avait pu, avant nous, apercevoir la chose. Il criait de joie, les bras étendus, gesticulant comme un qui a vu —enfin, enfin, enfin !— un signe de vie. Ou de mort ?
Oui, ou de mort, car quand on se rendit à sa vision, c’était plutôt bizarre et pas bien rassurant. Dans notre immensité neigeuse, nous avions vu un quoi ?, un monument ? Un sorte de personnage géant. Était-ce une statue ? Sorte de dolmen inconnu. La chose était inerte. On aurait dit un hait bonhomme. Animal ou être humain, figure indescriptible ? La chose était, il nous semblait, montée sur quatre pattes gigantesques, couleur de glace. Nous pouvions discerner une sorte de tête, aussi, dessus, une sorte de chapeau —tuque, bonnet— couronnait cette face rougeâtre, ce visage immobile. Sorte de bête apocalyptique nos narguant. Clovis, notre vieux sage, nous recommandait la prudence. De ne pas trop l’approcher. « Un jet maudit, nous dit-il, pouvait bien jaillir de cette sorte de gueule figée ».
(illustration no 1)
Gabriel et Thomas, les deux plus jeunes de notre escadrille de reconnaissance, voulurent en avoir le cœur net. Ils proposèrent de jouer de leur lance-flamme. Les torches s’illuminèrent dans cette quasi nuit perpétuelle. Ils visèrent le haut de cette tête ronde insolite. Aussitôt le drôle de bonnet fondait en eau puante ! Et puis la tête s’effondra tout aussi rapidement. Flaque d’eau pourpre à nos pieds. Et puis le reste de ce corps plutôt inhumain fondait aussi. Bientôt, sous l’effet de la chaleur des fusils de Gabriel et Thomas, il n’en resta pus qu’un amas de filaments noirâtres entortillés, tombés comme boudins crasseux. Vive déception ! Mystère complet ! Une population en déroute, s’évadant comme nous, écrasé par l’événement apocalyptique —d’il y a un mois maintenant— avait-elle tentée de fabriquer un robot ? Ou bien de laisser dans leur fuite, un signal ? Un témoin ?
Nous nous dispersions de nouveau alors. Et, un peu plus tard, un peu plus loin, c’est Laurent, l’intrépide Laurent, qui, à son tour, nous avait rejoint en gesticulant d’allégresse, nous invitant de venir voir là où il venait de découvrir, criait-il, une sorte d’habitation. Parvenus à son site, en effet, nous étions tous les six ahuris d’examiner cette construction inimaginable. Une sorte de halo orangé entourait la bâtisse capricieuse. Cela semblait comporter trois étages distincts. Ni portes, ni fenêtres, aucune ouverture réelle. Si le bonhomme hirsute de tantôt nous dépassait en hauteur, cette drôle de cabane faisait trois ou quatre fois notre hauteur. Simon, le si curieux, imaginatif Simon, nous fit remarquer une sorte d’antenne à gauche du bâtiment. Un poste de relais ? Fonctionnait-il encore ? Vieux Clovis décidait de s’en approcher. David, l’aîné des garçons, l’accompagna, son fusil-mitrailleur à la main. On aurait dit des blocs de cobalt tout autour. David cria, mettant ses bras dans ce qui semblait une entrée au rougeoiement de la même teinte que la tête du bonhomme fondu. Son cri en était un de grande surprise. C’était une matière fluide, élastique. David entrait et sortait tout à son aise. Nous avons couru pour l’imiter. On en riait tant c’était si singulier, cette molle matière.
Dedans cette architecture molle, nous découvrons une sorte d’entrepôt. C’était, sur trois étages, tout rempli de ces boudins noirs semblables à ceux qui étaient à l’intérieur du gros bonhomme de tantôt. Encore une déception. Pourtant, nous avions aussi la conviction que ces deux découvertes —les premières depuis tant de jours de marche vaine— étaient du tangible. Il devait y avoir —peut-être pas bien loin— d’autres hommes, des créatures vivantes, humaines. Des gens qui tentent, eux aussi, d’échapper au terrifiant holocauste du mois dernier.
(illustration no. 2)
Cette charpie du globe ! Ce grand malheur ! Oh, notre terre réduite ! C’était le milieu de l’été. C’était les vacances. C’était le bon temps et puis des astronomes firent retentir l’avertissement sinistre. Le funeste événement :des pavés de milliers et de milers de kilomètres allaient tomber sur notre planète incessamment. Venant d’on ne savait où. Certes, il y avait des décennies que l’on nous menaçait de ce genre de collisions fatales. Certes la terre n’en finissait pas d’agoniser par l’insouciance de ses habitants. La couche d’ozone, nous l’a-t-on assez répété ?, s’amenuisait sans cesse depuis les années 2000. Le réchauffement climatique avait déjà causé des inondations déplorables, tant de rivages disparaissaient chaque année.
New-York était devenu une Venise nouvelle ! Et elle, Venise, avait sombré avec tous ses trésors architecturaux.
Il était tard pour enfin admettre la folie des hommes. Leurs gaspillages. Leur insouciance et négligence. Trop tard ! Mille moyens désespérés furent employés pour retarder l’affreuse échéance. Les pôles fondaient lentement aux deux extrémités du globe, un peu davantage chaque année en ce temps-là. Il n’y avait plus grand chose à faire, nous étions condamnés à plus ou moins court terme. Des inventions étonnantes essayaient de remédier aux gigantesque ennuis qui s’accumulaient partout. Des esprits inventifs, des génies salvateurs, trouvaient parfois des solutions mais toujours temporaires.
Il fallut qu’arrive cette averse de comètes assassines.
Milliards de morts sur terre. Des continents entiers disparus. Et nous, nordiques chanceux —combien étions-nous de notre espèce ?— avions maintenant le dur devoir de nous dénicher un coin de planète viable. Faire comme ce légendaire bonhomme Noé, celui d’après le déluge biblique. Pour tout recommencer.
Pour reprendre à zéro ce qui se nomme la civilisation. Cette faible lueur céleste au nord du nord était donc notre guide, notre espoir fou. À tout prix, coûte que coûte, retrouver un peu —au moins un peu— de chaleur. De soleil. Sans lui, fin de nos vies à terme.
À L’époque de l’inexorable fonte des glaciers, de la montée des océans, on a vu les églises, les temples, les mosquées et les synagogues se remplir de foules pieuses comme aux dix-huitième et au dix-neuvième siècle. Des pèlerinages incessants s’organisaient —gigantesques, pathétiques— partout dans le monde. Une spiritualité —celle du désespoir— avait de nouveau régné sur la terre. Rien n’y fit. Ces chutes diaboliques —des millions de tonnes de matière pierreuse—, les engloutissements du mois dernier avaient répondus cruellement aux prière des humains menacés.
Ce fut « la fin du monde » pour tant de monde.
Adieu donc aux Africains, aux Américains du nord comme du sud, à tant d’Asiatiques, Chinois, Japonais, Indiens et Européens ! La terre vidée des deux tiers de ses habitants. En un seul jour.
Après une dizaine d’heures de prudentes avancés, comme chaque jour, nous revenions, tous les six, à la base, au ballon vert, à notre grande tente flottante. Alors nous nous divisions parcimonieusement, une fois d plus, nos précieuses rations —très calculées—de biscuits-de-survie. Nos breuvages de salut. Nous retirions nos camisoles isolantes, nos masques. Nous tentions de reprendre un peu cette anémique vie-de-famille, Tous perdus dans nos paysages, au sol, de douteuse blancheur, au ciel, de noirceur exécrée, égarés dans toute ces glaces mollissantes, enterrés si souvent par ces bourrasques de neiges trop fréquentes.
Pour nous donner du cœur, après ces frugaux soupers, nous chantions un peu, nos chansons « du bon temps », nous récitions nos poèmes favoris, nous lisions et relisions les même livres, ceux que bous aimions beaucoup dans « le bon vieux temps d’avant », quand il y avait un beau ciel bleu si souvent, du soleil au dessus de nos têtes.
Avant de nous endormir, Daniel et Marco, nos vaillants pilotes, repartaient les machines et le ballon montait vers l’ardoise maudit, pour joindre notre « site du jour » très investigué. Au matin suivant, sous cette ardoise immanquable, nous reprenions notre marche, notre sempiternelle excursion quotidienne. Pour nous encourager, nous nous répétions qu’il faisait toujours —tout de même— un petit peu plus clair. Pieux mensonge qui ne nous trompait pas vraiment. Nous avancions peut-être en vain, nous montions en vain, nous grimpions vers la calotte polaire —peut-être, peut-être mon Dieu— pour y trouver une fois rendus au bout du monde, cette même béance, ce même ciel noir.
Le plus enthousiaste, disons plutôt le moins pessimiste de notre équipée, Gabriel, nous répétait qu’il avait entendu dire à la radio, juste avant le Grand silence hertzien, le jour même du Grand désastre, que dans le Grand nord, le ciel restait clair. Laurent le réaliste lui disait chaque fois :
-« Mais c’est où ça, le Grand nord, Gaby ? »
On voyait si mal. Il y avait ce ciel bouché, il y avait aussi ces tempêtes neigeuses, presque chaque jour. Cette neige qui tombait, qui tombait sans fin. Nous devions souvent arrêter notre marche quotidienne. Nos raquettes aux pieds s’enfouissaient. On ne voyait pas à un mètre devant soi.
Ainsi, certains jours nous revenions très tôt au ballon vert, impossible de continuer, complètement empêchés d’avancer —pas même d’un seul pas— tant les vents étaient violents, ou l’abondance neigeuse stoppant net toute velléité de cheminer un peu plus. Les trois femmes du ballon, les mères, ces jours-là, voyaient bien notre désespoir et tentaient par une gaieté inouïe —chansons, farces, jeux de société, de magie— de nous empêcher de sombrer dans une plus totale morosité. Elles s’efforçaient, ayant fini de tenir le journal de bord et de noter les moindres découvertes, indices ou autres petites péripéties. Notées pour ce jour donc : bizarre bonhomme de boudins, fondant, cabanon, entrepôt de filaments insolite. Maigre récolte. Nous éteignions nos lampes à kérosène et l’on entendit Gabriel, gaiement, qui dit :
-« Il faisait un peu plus clair, non ? »
Laurent ricana :
« Un peu moins sombre, tu veux dire ? »
Et personne n’a ri cette fois.
(Commencé et abandonné dimanche 23 mars 2003. Y revenir un jour ? Qui sait ? C.J.)
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