MAUDITS GHETTOS AMÉRINDIENS ?
17 décembre 2007 | 1-Tout, Lettres ouvertes, Poing-comme-net
Face au Desjardins de « Le peuple invisible » (film que je viens de voir), à une émission de télé, l’anthropologue Serge Bouchard a dit : « Mais Richard, il y a des changements, des corrections… » Silence du noir poète en studio. Son captivant film se disperse, hélas, dans toutes les directions. On y voit d’étonnants vieux films, des tentes et des canots, puis des canbanes, à la fin, de bien chics bungalows avec de jolies pelouses ! Le chanteur, en voix hors-champ, dira pourtant : « Tous sont sur l’aide sociale… »
On a le droit alors de songer à nos colons du temps de la Crise, invités à ouvrir des villages là-bas. Un documentaire sur nos chômeurs « expédiés », avec images de nos démunis, ne serait pas moins affligeant. Dans ma parenté, des « revenus d’Abitibi », aigris, me parlaient de leur mésaventure à « misère noire », pas beaucoup moins accablante que celle montrée par Desjardins.
Ces « indiens » ? Des décideurs d’Ottawa décidait un jour de mettre en réserves les « sauvages »; on peut dire en ghettos. Pour les protéger disaient-ils. De quoi, de qui ? De nous, tous « méchants Blancs » ? De l’alcool, qu’ils ne supportent pas ? Pour la conservation de leur culture ? Non, car l’on décidait bientôt d’installer en pensionnats -Cathos et Protestants- leurs enfants. Cela se fit avec les mêmes abus et méfaits moraux, commis envers tous les petits pensionnaires. Blancs ou Rouges. Un racisme hypocrite.
Depuis longtemps, certains, tout comme moi, tentent d’imaginer ce qui serait arrivé de ces « Première nations » si les autorités politiques les avaient laisser vivre librement parmi nous. Une « intégration » heureuse ? Une « assimilation » totale ? La métamorphose advenue à tant d’émigrants abitibiens, Russes, Polonais, etc. ? L’Ukrainien, de Rouyn ou de Val d’or, voit ses petits-enfants devenus des Québécois comme les autres et mon ami Boutchavski m’en est une preuve.
L’Amérindien n’est pas, lui, un émigrant, c’est entendu. Il subissait le méchant sort d’appartenir à une nation minoritaire. Rien à faire, cela aurait été, tôt ou tard, l’assimilation. Dure constat que ce « Principe de réalité ». Les Canadiens-français partis jadis en vaste Canada, ou en Nouvelle Angleterre, sont devenus « tout semblables » aux majoritaires les environnant. Leurs enfants et petits-enfants furent assimilés, ne parlent plus notre langue, appartiennent à une autre culture. On n’en meurt pas.
Ainsi Algonkins ou Abénakis, plein de « sauvages » modernes, ayant refusé le ghetto-réserve, se sont fondus à nous, le 83% de la population québécoise francophone. On ne va pas s’excuser d’exister tout de même, nous, le 2% sur ce contient ! La mode actuelle des résistances (désespérées), d’un retour (romantique) aux sources, attire de la sympathie certes mais fera long feu. Nulle part au monde, on a pu voir des petites minorités résister longtemps au besoin de grégarisme, qui est ce besoin normal d’appartenir au monde qui les entoure. Nous sommes aussi en danger, on le sait. Ce besoin viscéral est de toute éternité, déjà il y a tant d’américanisés parmi nous, pas vrai ?
Bon : pour le bien des jeunes Rouges, devrait-on dissoudre ces ghettos où, selon Desjardins, « C’est la misère, les suicides et la drogue pour la jeunesse, et tous sur le B.S. » Comment réparer l’erreur tragique des autorités d’antan : avoir installé tous ces ghettos « d’entretenus mal entretenus » ? Desjardins ne sait pas quoi répondre, comme nous tous. De là le sentiment d’un documentaire -un de plus- stérile. D’une impasse, D’une invitation à culpabiliser, même si « nous, le peuple », n’a eu rien à dire sur « la question-amérindienne ».
Enfant, en villégiature tout à côté d’Oka, nous étions silencieux, gênés, en voyant leurs maisons sans peinture aucune, la zones de miséreux apparents, anglifiés, ces enfants agniers (Mohawks) dépenaillés, enfermés en leur ghetto, privées de nos joyeuses plages. Je n’aimais pas ce séparatisme déjà. Nous savions que nul ne pouvait plus vivre de cueillettes, de pèche et de chasse. Le vieux monsieur Gabriel, sans parler, nous louait des vieilles picouilles, une piastre de l’heure. Pourquoi ce mur, pensions-nous ? Comme Desjardins l’avoue volontiers, nous n’avions aucun contact humain. Ces maudits ghettos font ça ! Gilles Vigneault, son ghetto de Pointe-Parent pas loin, en fera de tristes chansons. « La Marie-Lou est pour un Blanc ». Plein de jeunes Marie-Lou du film de Desjardins nous jettent des regards d’une tristesse infinie, on a mal.
J’attendais ce billet avec impatience, depuis le précédent, entre autres sur la question des Amérindiens. J’en avais même parlé sur mon blogue et c’est ici : http://renartleveille.blogspot.com/2007/12/stourdir-avec-claude-jasmin.html
Assez bizarrement, j’expliquais que votre conclusion concernant le documentaire de Richard Desjardins m’avait brassé la cage et rien, niet! personne n’est venu en discuter avec moi, malgré ma demande : « J’ai rarement été devant un billet qui me brassait autant la cage. Je suis le roseau, joignez-vous à mon vent. »
C’est que j’avais peur de l’avouer ouvertement, mais je suis immensément d’accord avec vous quand vous penchez du côté d’une hypothétique « intégration heureuse » pour les Amérindiens alors qu’en même temps je ne peux pas faire abstraction de leur réalité, « documentée » par Desjardins.
Vous me brassez encore la cage, mais ce billet m’a bien accroché au plancher des vaches et un mien billet devrait poindre sous peu.