Ma grosse Donalda-Marmotte file à toute vitesse ce matin-là. Elle rentre sous ma galerie, la queue basse. Un éclair. Fauve. Va à sa chère niche sous les vieilles planches. Elle revenait de chez le voisin, Monsieur B. Longtemps, on voyait sur leur terrain plusieurs siffleux. Mais ils se cachent où maintenant ?
Je pose ma canne sur le garde-fou et je fouille du regard. Rien. Que le lac comme tremblotant dans la belle lumière des beaux jours récents, dans sa petite barque modeste un pêcheur —à moteur électrique— trolle patiemment tout autour de nos rivages. Les bourgeons des lilas grandissent comme à vue d’oeil. Ma hâte des beaux mauves !
Pendant mon bref séjour à l’Hôtel-Dieu ma Raymonde me dira; « Ce matin, avant de partir, j’ai vu ton gros vieux matou royal. Valdombre ? Il était grimpé sur une table de la galerie. Il m’a vu et examiné un bon moment puis a sauté paresseusement au sol et est descendu tout doucement l’escalier. Tu as raison : il se prend pour qui celui-là ? »
Ses « maudites » corneilles rôdent désormais. Elle grogne. Un peu. Moi l’estropié, l’handicapé, le « vieux » réduit à ses béquilles, ma Raymonde a engagé un vaillant jeune homme pour les travaux « du printemps » dans le jardin et dans la cour. Et pour le lavage des murs dehors… et les douze persiennes noires à repeindre… Et le reste. Je me sens devenu une sorte de rentier, aussi une sorte de « p’tit vieux ». J’aime pas trop ça.
Voilà que le seul littéraire de mes cinq petits-fils, David, lit de sa poésie en Colombie, à Bogota ! Il a été choisi par un réseau animé par les Alliances françaises. Internet fait que l’on garde contact. Photos, affiches, bandes sonores, et tout le reste. Skype compris. Sur une vidéo, on a orthographié son nom JAZMAN ! J’ai ri, au collège Grasset on m’affublait de ce sobriquet ! Moi comme immobilisé et lui, mon dauphin, vagabondant si loin, si loin; il songe maintenant à y demeurer quelques mois, le coût de la vie est invitant certes.
Je suis un peu fébrile en ce moment, c’est l’inquiétude, Raymonde a passé des radios urgentes et doit recevoir un verdict sur ses bien faibles poumons, en ville. J’ai peur. Voilà des décennies et des décennies d’amour commun, d’amour intense et…peut-être —bien pire qu’une hanche artificielle—ma compagne de vie se fera emprisonnée dans une suite de soins intensifs…Nous fumions, elle et moi, oh !, comme des engins d’enfer jadis. Elle surtout, captive de ses réalisations de dramatiques, moi à mes simples scénographies, la fumée de cigarette était notre décor permanent. Pire qu’envahissant. Pour elle, quel sera donc le prix à payer ? J’ai peur et elle va rentrer bientôt. Je sortirai au soleil, une corneille poussera ses laids cris et je lui dirai : « Silence, mon amour s’an vient et elle ne tolère pas. »
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