On ne voyait aucun Noir dans ma jeunesse. Pas un seul. Nous disions, sans aucune discrimination, « nègre » dans mon jeune temps. Non, pas un seul Noir en vue jadis. Les quartiers populaires du nord de la ville étaient constitués de « Canadiens français catholiques. Il y avait « le » Chinois. Un seul par paroisse ! Celui qui tenait buanderie dans son échoppe modeste, humble boutique, avec grillage de protection (mais contre quoi donc ?), peint de couleur marron aux lettres d’annonce en blanc. On en avait peur. On avait peur de tous les « étranges ».
Dans Villeray, on trouvait aussi un petit ghetto de « blokes », les Irlandais de la paroisse pauvre Holly Family. Une église inachevée au coin de Faillon. Devenu un temps un éphémère hôpital chinois ! Eh bien, j’ai fini un jour par côtoyer quelque peu des « nègres », je le redis, comme on les nommait tous en ce temps de la guerre de 1939-1945.
II m’est arrivé qu’ayant un oncle employé par le —on disait le Ci Pi Ar— CPR comme cantinier. Il vivait sa vie debout, en titubant un peu, à bord des trains Montréal Québec, Québec Montréal. Merveille pour le collégien, il accepta de m’employer le week-end comme aide un bon jour. J’ai donc porté le grand plateau-panier —on disait un cabaret— en bandoulière et j’ai circulé dans les wagons en annonçant : « Cigarette, tabac, liqueurs sandwiches, chocolat, pinotte ! » Et bis et re-bis, du wagon de tête au wagon de queue, là, où un jour, je vis le cheuf Maurice Duplessis entouré de sa garde et buvant son éternel jus d’orange —depuis qu’il avait quitté les affreux fossés de l’éthylisme !
Avec cet oncle Léo, ce sera forcément mon premier vrai contact avec les nègres de Montréal. Ces derniers (dans tous les sens du mot) trouvaient à s’engager comme discrets valets, comme « porters » le plus souvent, en humbles préposés aux bagages des voyageurs quoi. La belle vieille gare Windsor où j’avais mon « smoke blanc » (sic), où je partageai à quelques occasions le vestiaire du frère de papa.
J’avais bien remarqué que l’oncle Léo était gentil, aimable et même enthousiaste avec ces gens « de couleurs », comme on disait aussi. C’est que l’oncle —joué par un sosie, l’acteur René Caron, à « La petite patrie »— aimait bien rigoler, qu’il était d’un tempérament ludique, qu’il était un gaillard enjoué, friand de chaleur humaine où qu’elle puisse se trouver. Avec ses camarades de travail, Léo, avait trouvé un genre humain qui lui convenait à plein. Il les aimait.
Aussi je me souviendrai toujours de ce tout premier contact plus intime avec les Noirs. Terminé le voyage de Québec et il me dit : « Viens, mon neveu, je t’amène manger rue Mountain ( c’était son nom avant la loi 101) tu vas te régaler. Je le suivis, qui me payait la traite quoi et nous sommes entrés dans une vaste gargotte tenu par des Noirs. Quelle ambiance ! Ce sera l’étonnante découverte à quinze ans de la santé à vif. Aussi de la poule au pot avec les longs poils de l’oiseau rôti ! Je n’aimais pas trop. Ce fut aussi ma première chope de bière et…l’amour de cette ambiance. Je découvrais un peuple rieur et possédé d’une bonne humeur non feinte, d’un tempérament ultra vivant. Des gens qui riaient sans cesse. Je n’avais jamais vu ça, nous étions collectivement plutôt camouflés, retenus, prudents. Pas top enclins à nous livrer au naturel, sauf bien entendu au temps des Fêtes ! J’avais les yeux grands, le sourire au bec de constater cette joie brouillonne, tonitruante ! Dans ce resto il y avait une mini plateforme et un Noir s’y centra pour jouer de sa trompette. Des air d’une tristesse bizarre qui m’avait remuer. Les camarades de Léo venaient jaser à notre table mais c’était en anglais, hélas : blagues, farces et moquerie car Léo rigolait ferme. Mon oncle les aimait et il état aimé d’eux, je le voyais bien. Moins constipés évidemment que les blokes, moins hypocrites, nous restions tout de même méfiants en public.
Je suis rentré chez moi ce soir-là sachant qu’il y avait en bas de la vile, du coté de Griffintown, de l’Ile aux Oies, de la Petite Bourgogne et de Pointe St Charles, tout un petit peuple pauvre mais d’hommes rieurs, d’hommes joyeux. Et j’en avais été si bien sur Mountain Street en 1945.
Il y a une quarantaine d’années, j’avais une ami d’origine jamaĩcaine. Comme on
dit, on s’est perdu de vue.
Un jour, nous serons tous terriens avec la peau brune et les yeux bridés.
Mais avant d’en arriver là, l’assimilation qui se fait presqu’en sens inverse, est un
peu pénible parce que trop intense. Je dis en sens inverse parce que certaines
ethnies voudraient nous imposer leurs us et coutumes.
À mon avis, les immigrants continueront à construire des ghettos au lieu de
s’intégrer véritablement puisqu’ils sont nombreux au point de former des villages.
De plus, au rythme actuel, nous pouvons conclure que nous serons noyés dans la
masse, comme un vin auquel nous ajoutons de l’eau pour la consommation d’un
enfant. J’ajoute que c’est sournoisement planifié ainsi, puisqu’en toute logique les
immigrants devraient peupler les provinces dont la population est inférieure à celle
de la ville de Montréal.
Un peuple rieur…..
Pas étonnants, ils étaient plus libres ici que chez nos voisins ex-clavagistes. ( jeu de mots intentionnel ).
Quand je suis débarqué à Montréal sur le pouce à l’âge de 16 ans en provenance de mon coin de la rive-sud de Québec, je n’avais jamais vu ni noir, ni juif, ni chinois, ni itinérant, ni pas grand chose… quel choc ce fut !
Il y avait bien mon oncle Germain qui arrivait tout juste de la guerre de Corée qui racontait des « affaires pas très correctes » et ma tante Noella, religieuse et missionnaire en Ouganda. C’est par elle et par procuration que je voyageais.
Lorsqu’un certain Noël elle me remit un oiseau scupté à la main dans la pointe en ivoire d’une défense d’éléphant, j’ai vraiment voyagé et j’ai rêvé… je touchais à quelque chose qui était « autre chose » une vraie affaire…
Comme tous les jeunes de mon époque, je prenais plaisir et je tirais fierté de pouvoir acheter un chinois, d’après mon père ça valait mieux qu’un noir, ouffff
Et puis, un jour que ça allait mieux dans les hormones de ma difficile adolescence, un noir s’est inscrit à notre école secondaire de Roberval. Comme tous les gars de ma classe (c’était la dernière année de séparation garçon-fille) nous nous sommes ruées sur lui pour le toucher et lui passer les doigts dans les cheveux, quelle sensation étrange ! Quel souvenir étrange aussi. J’ignore son nom, mais il a beaucoup contribué à briser les préjugés qu’on m’avait rentrés de force, presqu’à coup de pied au c…
Le jour ou une famille de protestant a aménagé à deux maison de chez nous, ma mère a prié de toutes ses forces qu’on ne soit pas contaminé. Quant à tante Maria qui avait marié un Pitt de la Floride, elle était damné. Que de préjugés inutiles et ravageurs ! Que de perte de temps ! Que de relations intéressantes et positives négligées ! Que de merde !
La vie faisant ce qu’elle avait à faire, j’ai finalement compris qu’au delà des dissemblances de l’apparence, le monde se sépare en deux, les bonnes personnes et les autres.
Puisse tous mes enfants se faire leurs propres idées au lieu de se faire étrangler par la désinformation qui ose encore dire que ceci est meilleur que cela. Après tout, quand on a craché sur son histoire comme on l’a fait en chassant le religieux de notre univers culturel et social, pourquoi en vouloir aux autres de s’accrocher à la leur ?